Mercredi 17.03. France 2 diffuse “le jeu de la mort”, un documentaire actualisant l’expérience de Milgram, suivi d’un débat sur le pouvoir de la télévision aujourd’hui. L’émission crée la polémique.
De l’expérience de Milgram
Dans l’expérience de Milgram, réalisée dans les années 60, les individus testés croient participer à une expérience de laboratoire, et sont soumis aux injonctions d’un scientifique, qui les incite à attribuer des décharges électriques de plus en plus importantes à chaque mauvaise réponse de leur partenaire. Ils n’ont rien à perdre ou à gagner, et savent qu’ils auraient pu être de l’autre côté du mur. L’expérience présumée : “établir l’efficacité de la punition dans les méthodes d’apprentissage”. Le résultat est édifiant : plus de 60% des participants continuent à infliger les chocs jusqu’au maximum prévu (450V) en dépit des plaintes du partenaire (un acteur).
Les conditions étaient similaires dans l’expérience actualisée, à ceci près qu’il s’agissait d’un jeu télévisé présenté comme un pilot, et que l’autorité était incarnée par la présentatrice et la production. Les résultats ont été supérieurs à ceux de l’expérience réalisée dans les années 60 : 81% des candidats ont administré le choc le plus important “choc dangereux” dans la zone extrême.
Il est à espérer que cette différence de chiffre découle du fait que l’expérience actualisée est légèrement différente de la précédente, et non d’une évolution de la société et des individus de plus en plus soumis… De nouvelles conditions relatives au jeu télévisé, pourraient avoir biaisé l’expérience, en influençant autrement le candidat :
1. le poids de l’organisation & la théorie de l’engagement : réaliser une émission nécessite de mobiliser énormément de personnes, sans doute plus que dans un laboratoire. Ce qui pourrait davantage impressionner l’individu testé, qui ne souhaite pas tout gâcher par sa seule intervention, alors qu’il a précédemment accepté les règles et d’y participer.
2. le public & la théorie de la conformité : les candidats se soumettent à ce qu’attend l’animateur & la production, mais aussi la pression “sociale” du public. (cf. l’expérience de Solomon Asch en 1956, où un individu sur trois se range à l’avis de la majorité, même quand elle a visiblement tort – il préfère respecter la norme que la vérité).
3. le côté “fiction” : il est plus difficile de déterminer quel est le vrai du faux à la télévision, en revanche chacun est conscient que la loi interdit les dérives.
Cette expérience reste néanmoins effrayante : sans aucun enjeu ou danger, la plupart des gens se soumettent sans réfléchir à l’autorité… de peur de décevoir ? ou pour respecter un précédent engagement ?
Dans un contexte social similaire, combien d’entre nous parviennent à s’extraire des règles et de la pression pour assumer une décision différente ? au travail, dans les administrations, ou dans des discussions entre amis… cependant l’enjeu est différent : personne n’est torturé ! Alors comment, face aux supplications d’un individu, peut-on faire la sourde oreille parce qu’on nous le demande ? Il est à espérer qu’en prenant conscience du problème, nous parviendrons à être plus fort une fois confrontés à ce genre de situation.
Du débat sur les dérives de la télévision
La polémique quant à l’émission diffusée sur France 2, repose sur le fait que cette expérience – qui prouve la naturelle soumission à l’autorité – a servi à faire le procès de la télévision “devenue une autorité légitime”.
Or l’expérience ne démontre rien, elle aurait tout aussi bien fonctionné dans un laboratoire, dans un milieu professionnel ou dans une organisation publique : aurait-on alors évoqué les dangers de ces milieux ?
En effet, il a déjà été prouvé que ce qui fait autorité pour l’individu ne dépend pas forcément d’un système hiérarchique pré-établi : il peut également s’agir d’une autorité de fonction ou de compétences. Ici, les producteurs assument la responsabilité de l’émission, ils connaissent leur métier, et sont implicitement “supérieur” – car plus compétents – que le candidat qui découvre les coulisses de la télévision. C’est l’autorité liée à la connaissance, non à la télévision, qui a pu contraindre ici les individus testés.
Il est cependant utile de rappeler que la télévision peut avoir une influence néfaste sur les individus s’ils ne prennent pas de recul face aux émissions qu’ils regardent. Banaliser la violence, vulgariser le sexe, afficher l’intimité ou réduire à néant la dignité humaine, risque de créer une génération TV aux valeurs étranges…. mais ceci est un autre débat.