Les limites du principe d’indépendance


Prendre une décision exige souvent que nous choisissions entre des “inconnus”. Confronté à ce type de complexité, l’être humain se sent souvent impuissant.  Les psychologues ont ainsi découvert que les individus peuvent être conduits à prendre des décisions irrationnelles lorsqu’ils sont confrontés à trop de complexité et d’incertitude.

En 1954, l’économiste L.J. Savage a défini ce qu’il considère être l’une des règles de base de la prise de décision de l’être humain. Il lui a donné le nom de “principe d’indépendance”. Il l’illustre par un exemple.

“Un chef d’entreprise envisage d’acheter un bien immobilier. Des élections vont bientôt avoir lieu et il pense que leur résultat peut avoir une incidence sur l’attractivité de l’achat. Donc pour prendre sa décision, il envisage les deux scénarios possibles. Si le républicain l’emporte, il achète. Si c’est le démocrate, il achète aussi. Ayant établi qu’il achèterait dans un cas comme dans l’autre, il passe à l’acte, alors qu’il ne connait pas le résultat.”

Cette décision semble sensée. Pourtant deux psychologues, Amos Tversky et Eldar Shafir ont prouvé que le principe d’indépendance ne s’exerçait pas aussi souvent qu’on aurait pu le penser. Dans certaines situations, la seule incertitude semble suffire à modifier la façon dont les individus prennent leurs décisions.

“Imaginons que vous êtes étudiant et que vous venez de passer un examen important, quinze jours avant les vacances de Noël. Vous avez travaillé pendant des mois en vue de cet examen. Vous ne connaîtrez vos résultats que dans deux jours. L’occasion vous est offert d’acheter un voyage à Hawaï pour les vacances de Noël à un prix intéressant. Trois options s’offrent à vous : acheter le voyage aujourd’hui, le refuser aujourd’hui ou verser un acompte de 5 dollars pour réserver le voyage au prix voulu pendant deux jours, ce qui vous permettrait de prendre votre décision après avoir reçu les résultats de votre examen. Que faites vous ?

Il se peut que vous ayez envie de connaître vos notes avant de vous décider, à l’instar des étudiants ayant participer à l’expérience. Tversky et Shafir ont donc tout simplement supprimé cette incertitude pour deux groupes de participants : leurs notes leur ont été communiquées dès le début de l’expérience. Ceux à qui on a dit qu’ils avaient réussi l’examen ont choisi de partir en voyage à 57% (ça se fête !) ; ceux a qui ont a dit qu’ils avaient échoué ont décidé de partir en voyage à 54% (on mérite bien un peu de vacances !). Réussite ou échec : tous ont choisi de s’envoler vers Hawaï, pronto. Pour autant, le groupe d’étudiant qui ne connaissait pas ses notes s’est comporté de manière totalement différente. 61% d’entre eux ont payé les 5 dollars leur permettant d’attendre 2 jours.

Vous réussissez, vous partez. Vous échouez, vous partez. Vous ne savez pas si vous avez réussi ou échoué… vous attendez ?”

Voilà qui contredit le principe d’indépendance. L’incertitude peut nous paralyser.
Une autre étude, de Shafir et Donald Redlmeier, indique qu’il en va de même du choix.

“Vous êtes à nouveau un étudiant, un soir les choix suivants s’offrent à vous. Que faites vous ?
1. Assister à une conférence d’un écrivain que vous aimez, et qu’il ne donne que ce soir là. ou 2. Aller travailler à la bibliothèque. Le goût de l’étude montre vite ses limites face à l’attrait de la conférence exceptionnelle. Seuls 21% des étudiants ont décidé d’aller à la bibliothèque.

Par contre, lorsque 3 choix sont soumis : 1. Assister à la conférence. / 2. Aller travailler à la bibliothèque. / 3. Regarder un film étranger que vous aviez envie de voir. 40% des étudiants ont choisi d’aller à la bibliothèque (2 fois plus) ! Paradoxalement, donner aux étudiants 2 bonnes raisons de ne pas étudier les incite moins à opter pour l’une ou l’autre.

Ce comportement n’est pas rationnel mais il est humain.
D’où l’importance d’établir des priorités, d’identifier leur cœur des idées que l’on souhaite faire passer, et de ne pas laisser le choix aux personnes à qui nous les adressons. Celles-ci sont constamment amener à prendre des décisions dans un environnement incertain, la nécessité de choisir les plongera dans l’angoisse.

[Source : Chip & Dan Heath
“Ces idées qui collent : Pourquoi certaines idées survivent et d’autres meurent”]

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