Communication & malédiction du savoir


La « malédiction du savoir » est le fait que nous tenions pour évidents les messages que nous voulons faire passer. Nous avons perdu la capacité d’imaginer ce que c’est que de regarder avec des yeux de néophyte. On oublie facilement que l’on s’exprime comme un spécialiste. Parler de manière concrète de sujets que nous connaissons depuis des années peut nous sembler artificiel. Mais si nous acceptons de faire cet effort, nous serons récompensés : notre public comprendra ce que nous sommes en train de dire et s’en souviendra. Ces problèmes de communication ont sans doute un parfum de déjà vu. Comment les résout-on ?

[Lire la suite…] La chercheuse Beth Bechky a étudié une entreprise de fabrication qui concevait et produisait des machines complexes utilisées pour produire des puces en silicone. Pour construire ces machines, la société avait besoin de deux ensembles de compétences : des ingénieurs, pour créer de brillants designs, et du personnel de fabrication qualifié pour transformer ces designs en objets physiques complexes.

Pour que la société réussisse, il était indispensable que ces deux groupes d’individus communiquent de manière fluide. Mais, ce qui n’est pas pour surprendre, ils ne parlaient pas le même langage. Les ingénieurs étaient enclins à l’abstraction ils passaient leurs journées à se casser la tête sur des dessins et des plans. L’équipe de fabrication, pour sa part, pensait plutôt à un niveau physique – elle passait ses journées à construire des machines.

Ce qui est particulièrement révélateur pour la « malédiction du savoir» est ce qu’il se passait lorsque quelque chose n’allait pas à l’atelier. Il arrivait que les ouvriers tombent sur un problème – une pièce ne s’ajustait pas ou ne recevait pas suffisamment d’alimentation électrique. Les ouvriers soumettaient alors le problème aux ingénieurs, qui se mettaient immédiatement au travail. À savoir, corriger leurs dessins.

Les ouvriers trouvaient par exemple une pièce qui n’allait pas sur la machine. Lorsqu’ils montraient la pièce aux ingénieurs, la première réaction de ces derniers était de ressortir leurs dessins et de changer les choses sur le papier. En d’autres termes, ils sautaient instinctivement à un niveau supérieur d’abstraction .

Beth Bechky découvrit ainsi que les ingénieurs rendaient leurs dessins « de plus en plus détaillés » dans l’espoir qu’ils rendraient le processus plus clair pour l’équipe de fabrication. Avec le temps, les dessins devenaient de plus en plus abstraits, ce qui ne faisait que rendre la communication plus difficile.

Les ingénieurs se comportaient comme des touristes américains en voyage à l’étranger qui essayent de se faire comprendre en parlant anglais plus lentement et plus fort. Ils souffraient de la « malédiction du savoir ». Ils avaient perdu la capacité d’imaginer ce que c’est que de regarder un plan avec des yeux de néophyte.

Le personnel de fabrication se disait : Mais pourquoi est-ce que vous ne venez pas tout simplement dans l’atelier me montrer où doit se placer la pièce ? Et les ingénieurs se disaient : Que faut-il que je fasse pour améliorer les dessins ?

Ces problèmes de communication ont sans doute un parfum de déjà vu pour nombre de lecteurs qui ne travaillent pas sur des machines de fabrication de puces en silicone. Comment les résout-on ? Faut-il que les deux parties se mettent davantage à l’écoute l’une de l’autre pour se retrouver, en quelque sorte, à mi chemin ? Non. La solution, c’est que les ingénieurs modifient leur comportement. Pourquoi ? Parce que, comme le souligne Bechky, la machine physique est le domaine de communication le plus efficace et le plus pertinent. Tout le monde comprend parfaitement les machines. Par conséquent, c’est au niveau de la machine que les problèmes doivent être résolus.

La morale de cette histoire n’est pas de « bêtifier ». L’équipe de fabrication était confrontée à des problèmes complexes et elle avait besoin de réponses intelligentes. La morale est bien plutôt de trouver un « langage universel », un langage que tout le monde parle couramment. Ce langage sera concret.

[Extrait de Chip & Dan Heath
“Ces idées qui collent : Pourquoi certaines idées survivent et d’autres meurent”]

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