Dans son livre “Vous voulez rire, Monsieur Feynman !“, Richard P.Feynman, Prix Nobel de physique, raconte un ensemble d’anecdotes amusantes qui ont ponctué sa vie. Dans l’extrait suivant, il prend du recul sur l’image que les gens nous forge et sur ce que le monde professionnel impose, et réalise l’importance du plaisir pour aboutir au succès.
“ça , c’était une idée géniale : on n’est pas obligé d’assumer l’image de marque que les autres vous ont forgée ; on n’a pas à faire ce que les autres vous croient capables de faire. Ils se trompaient et je n’y étais pour rien.
Ce n’était pas ma faute si les gens de l’Institut se faisaient des idées sur mon compte. C’était une erreur. A partir du moment où j’ai commencé à envisager qu’il puisse s’agir d’une erreur de leur part, je me suis aperçu que le même raisonnement pouvait s’appliquer à toutes les autres propositions (…). Je suis comme je suis ; et s’ils attendent quelque chose d’extraordinaire de moi, s’ils me font des ponts d’or, c’est leur affaire, pas la mienne.
Le jour même, par une étrange coïncidence (mais peut-être m’avait-il entendu en parler, ou bien me comprenait-il tout simplement), Bob Wilson, le directeur du laboratoire de physique de Cornell, m’a fait demander : “Feynman, m’a-t-il dit, vous faites des cours excellents et nous sommes pleinement satisfaits. Pour ce qui est des autres espoirs que nous avions mis en vous, c’est notre affaire. Lorsqu’on engage un professeur, il y a toujours une part de risque. Si tout va bien, très bien ; sinon tant pis. En tout cas, une chose est sûre : il faut que vous cessiez de vous ravager.” C’était beaucoup mieux dit que cela et je me suis senti libéré de tout sentiment de culpabilité.
Et puis, il m’est venu une autre idée. Certes, la physique ne me disait plus rien pour le moment. Pourtant à une certaine époque, j’avais aimé cela. Pourquoi est-ce que ça me plaisait à cette époque ? Tout simplement parce que ça m’amusait. Je m’amusais ; je faisais ce qui me plaisait ; je ne faisais pas quelque chose parce que c’était important pour le développement de la physique nucléaire, mais parce que ça m’intéressait. Quand j’étais au lycée, par exemple, j’avais remarqué que le filet d’eau qui sort d’un robinet présente un rétrécissement et je m’étais amusé à calculer la forme de cette surface. Cela m’avait paru facile. Mais personne ne m’avait demandé de faire ce calcul ; ça ne mettait en cause l’avenir de la science ; de toute façon, quelqu’un l’avait déjà fait avant moi et ça n’avait donc aucune importance. J’inventais, je jouais pour mon propre plaisir. (suite…)