“(…) Eh bien, je vais te confier une petite chose que j’ai apprise, dans le temps, quand j’allais par les routes, avant la Grande Sécheresse. J’en ai vu et entendu des Raos, tu sais, j’en ai écouté, des puissants, des riches et des soldats. Et j’ai fini par comprendre que la violence ne naît pas des armes, comme on le croit trop souvent. Elle commence avant, c’est la fille des mots qu’on emploie. Les guerres éclatent quand on commence à appeler vraies des choses qui sont fausses. Et fausses des choses qui sont vraies.“
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Ce qui frappait, d’emblée, c’était son regard. (…) Pour le reste, rien ne le distinguait des autres Vingt-Neuf. Comme eux, il passait le plus clair de sa journée à travailler la terre, à s’occuper des bêtes et des arbres, à méditer. Si on voulait le voir, c’était dans les champs qu’il fallait aller le chercher.
Il laissait les gens l’aborder. Mais avant de leur parler, il les observait un long moment. Et il répondait seulement aux questions qu’on lui posait. Il appliquait à la lettre le neuvième principe : toujours réfléchir avant d’ouvrir la bouche. Et ensuite, filtrer ses mots avec le même soin que son eau et son lait.
Pour autant, une fois qu’il avait jaugé ses visiteurs, il lâchait la bêche et sa houe, leur souriait, leur indiquait un arbre. Un khejri, toujours le même. Et c’est le plus naturellement du monde qu’il allaient ensemble s’asseoir sous son ombre. En signe de bienvenue, d’autres Vingt-Neuf venaient alors leur offrir du lait puis il y avait un long moment où tout le monde se taisait : rien qu’à regarder les pigeons et les perruches picorer le grain que Djambo leur avait rituellement lancé avant de s’asseoir, rien qu’à contempler les gazelles et les antilopes qui allaient et venaient à deux pas de là, chacun se sentait rajeuni, la vie devant soi. L’âge, les tourments, la maladie même, plus rien n’avait d’importance. On était soulagé du poids de son corps, délivré de son passé, de l’angoisse du lendemain. Seul comptait cet instant de paix. Et c’est seulement quand ses visiteurs s’étaient ainsi spontanément abandonnés à ce qu’il y avait de meilleur en eux que Djambo parlait.
Il y eut aussi des timides pour prendre le chemin de l’oasis, des gens broyés par la vie et qui, à force d’être piétinés par la haine et le malheur, n’osaient plus rien. Pour ceux-là, Djambo prit toujours les devants. Il lâchait tout de suite son sillon, courait à eux, leur tendait ses mains calleuses et les entraînait sous l’arbre. En leur disant tout simplement : “Viens. Dis-moi.”
Là, c’était lui qui posait les questions, et eux qui lui répondaient. A un moment ou à un autre, ils recommençaient à sourire. Alors, comme à tous ceux qui venaient le voir, il leur expliquait qui étaient les Vingt-Neuf.
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(…) toute parole, là-bas – c’était la neuvième règle – , devait avoir un but et constamment s’accorder, selon les treizième, quatorzième et quinzième préceptes, au sacro-saint principe de vérité. Donc ni commérages, ni médisances ni calomnies, pas de cabales ni de complots, à moins d’encourir l’exclusion du groupe.
[Extraits de “La Forêt des 29”, Irène Frain.]
Un conte initiatique aux couleurs des déserts de l’Inde.
Merci à Romain de m’avoir offert cette histoire.