Cette année je participe à un concours de critique littéraire. Voici la première que j’ai rédigée.
Dans cet opus, Amélie revisite le conte de Barbe Bleue à sa manière, diabolique et fantasque.
Bien qu’elle s’en inspire assez librement, l’intrigue est respectée : des femmes mystérieusement disparues, un homme très riche, une jeune fille qui accepte de partager son toit, un interdit qui donne envie d’être transgressé, et un dénouement honoré. L’histoire est surtout modernisée : époque contemporaine, jeune femme indépendante, capable de se défendre seule, et tortionnaire raffiné. On regrette cependant que les éléments fondateurs de la notoriété du conte aient disparu. La célèbre “Soeur Anne” manque à l’appel, remplacée par une amie, et le soleil ne poudroie pas – pas plus que l’herbe ne verdoie. Il est vrai qu’à Paris dans le VIIe, le cadre ne s’y prête pas…
Dans cette version, Amélie Nothomb privilégie le dialogue à l’action – qui se déroule en huis clos. L’auteure traite l’histoire en subtilité, maniant brillamment le sophisme. Elle prête cette logique, souvent absurde mais toujours imparable, à chacun des personnages. Le couple se livre ainsi une joute verbale singulière tout au long du roman. Si bien qu’il devient difficile de distinguer le bourreau de la victime…
Amélie distille minutieusement suspens et humour pour assujettir le lecteur, qui se laisse entraîner sans réfléchir dans un univers tortueux et macabre. Elle se joue de nos besoins les plus vils – curiosité et fantasmes – pour susciter des envies malsaines. Le crime devient une évidence. Avec une dialectique qui n’appartient qu’à elle, elle change nos paradigmes et serait capable de nous faire accepter le pire. Ainsi, le dénouement, assez abrupte mais quelque peu attendu, nous laisse étrangement mélancolique.
Pourtant, ce livre peut décevoir. En effet, il rappelle beaucoup, par sa mise en scène, « Hygiène de l’Assassin », mais n’en est somme toute qu’une pâle copie. Il procure ainsi une impression de déjà vu. Le thème de la nourriture sacralisée y est abondamment traité – à nouveau, celui du statut de la femme également « la colocataire est la femme idéale », et le déroulement logique est identique. Dans son premier succès, Amélie incitait le lecteur à vivre différemment sa lecture. Un des personnages y questionnait « Ce livre vous a-t-il changé ? ». Pour « Barbe Bleue », la réponse est non. Cette oeuvre n’est pas un de ces livres qui « marquent et qui métamorphosent, qui modifient le regard ». L’environnement est similaire, mais les idées développées moins abouties. Il est finalement moins dérangeant et donc, malgré son intelligence d’écriture, moins profond.
En conclusion, « Barbe Bleue » est un livre agréable à lire, avec lequel on passe un bon moment, mais qui apporte peu. Il ne présente pas de réel intérêt littéraire ou artistique, et sera vite oublié. Divertissant donc, mais pas grandiose.
[cilaverce]