Archives du mois : mai 2012


Tweets musicaux avec RedBull

Le projet Red Bull Beat Suite Tweets propose aux internautes d’analyser leurs tweets (140 caractères) et de les traduire en musique. Une fois généré, ce beat peut être écouté et partagé sur tous les réseaux sociaux :  http://beatsuite.redbull.com.au/

A écouter aussi : the listening machine qui génère une ambiance musicale à partir des conversations de quelques 500 utilisateurs de Twitter.

[Source : blogopub]


[Extrait] Les enfants de la liberté, M.Lévy

Un matin, mon frère me réveilla.
– Viens, me dit-il en me tirant du lit.
Je le suivis à l’extérieur de la grange où Charles et les autres dormaient encore.
Nous avons marché ainsi, côte à côte, sans parler jusqu’à nous retrouver au milieu d’un grand champ de chaumes.
– Regarde, me dit Claude en me tenant la main.
Les colonnes de chars américains et ceux de la division Leclerc convergeaient au loin vers l’est. La France était libérée.

Jacques avait raison, le printemps était revenu… et j’ai senti la main de mon petit frère qui serrait la mienne. Dans ce champ de chaumes, mon petit frère et moi étions et resterions à jamais deux enfants de la liberté, égarés parmi soixante millions de morts.

[Les enfants de la liberté, Marc Levy]


Paris, M°9 – une station fantôme


A l’occasion de la sortie du film Prometheus, une station de métro fantôme de la ligne 9 est réinvestie. La station Saint Martin, fermée le 2 septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, avait réouvert après la Libération. Elle a finalement été refermée à cause de sa trop grande proximité avec la station voisine Strasbourg – Saint-Denis : seuls 100 mètres séparent les accès les plus proches de ces deux stations. Du 16 au 25 mai, elle renaît pour faire vivre aux voyageurs une expérience inédite… Restez attentif pour découvrir la grotte du film !

[Source : tribeca]


[Extrait] Les enfants de la liberté, M.Lévy
L’amour sous toutes ses formes

– Cela pose un problème que…?
– Que tu ne sois pas juif ? Pas le moins du monde, dit maman en riant. Ni mon mari ni moi n’accordons d’importance à la différence de l’autre. Bien au contraire, nous avons toujours pensé qu’elle était passionnante et source de multiples bonheurs. Le plus important, quand on veut vivre à deux toute une vie, est d’être sûr que l’on ne s’ennuiera pas ensemble. L’ennui dans un couple, c’est ce qu’il y a de pire, c’est lui qui tue l’amour. Tant que tu feras rire Alice, tant que tu lui donneras l’envie de te retrouver, alors que tu viens à peine de la quitter pour aller travailler, tant que tu seras celui dont elle partage les confidences et à qui elle aime aussi se confier, tant que tu vivras tes rêves avec elle, même ceux que tu ne pourras pas réaliser, alors  je suis certaine que quelles que soient tes origines, la seule chose qui sera étrangère à votre couple sera le monde et ses jaloux.

Maman prend Georges dans ses bras et l’accueille dans la famille.
– Allez, file rejoindre Alice, dit-elle, presque la larme à l’oeil. Elle va détester que sa mère retienne son fiancé en otage. Et si elle apprend que j’ai prononcé le mot fiancé, elle me tue !

Alors qu’il s’éloigne vers la salle à manger, Georges se retourne et demande à maman au seuil de la cuisine comment elle a deviné qu’il n’était pas juif.
– Ah s’exclame maman en souriant. Voilà vingt ans que mon mari récite tous les vendredis soir une prière dans une langue qu’il invente. Il n’a jamais su un mot d’hébreu ! Mais il est très attaché à ce moment où, chaque semaine, il prend la parole en famille. C’est comme une tradition qu’il perpétue en dépit de son ignorance. Et même si ses mots n’ont aucun sens, je sais que ce sont quand même des prières d’amour qu’il formule et invente pour nous. Aussi, tu te doutes bien que lorsque je t’ai entendu tout à l’heure répéter presque à l’identique son charabia, je n’ai pas eu de mal à comprendre… Que tout cela reste entre toi et moi. Mon mari est convaincu que personne ne se doute de son petit arrangement avec Dieu, mais je l’aime depuis tant d’années que son Dieu et moi n’avons plus aucun secret.

A peine de retour dans la salle à manger, Georges se voit entraîner à l’écart par notre père.
– Merci pour tout à l’heure, grommelle papa.
– De quoi ? demande Georges.
– Eh bien de ne pas avoir vendu la mèche. C’est très généreux de ta part. J’imagine que tu dois mal me juger. Ce n’est pas que je prenne un plaisir quelconque à entretenir ce mensonge ; mais depuis vingt ans… comment leur dire maintenant ? Oui, je ne parle pas hébreu, c’est vrai. Mais célébrer le sabbat c’est pour moi entretenir la tradition et la tradition c’est important, tu comprends ?
– Je ne suis pas juif, monsieur, répond Georges. Tout à l’heure, je me suis contenté de répéter vos mots sans avoir aucune idée de leur sens, et c’est moi qui voulais vous remercier de ne pas avoir vendu la mèche. (…)
– Bon, écoute-moi, je te propose que notre petite affaire reste strictement entre nous. Moi je dis le sabbat et toi, tu es juif !
– Tout à fait d’accord, répond Georges.

Le dîner achevé, Alice raccompagne Georges jusqu’à la rue, attend qu’ils soient à l’abri de la porte cochère et prend son fiancé dans ses bras.
– ça s’est vraiment bien passé, et puis chapeau, tu t’es débrouillé comme un chef. Je ne sais pas comment tu as fait, mais papa n’a rien vu, il est à mille lieues de se douter que tu n’es pas juif.
– Oui, je crois qu’on s’en est bien sortis, sourit Georges en s’éloignant.

[Les enfants de la liberté, Marc Levy]


[Extrait] Les enfants de la liberté, M.Lévy

Nous ne sommes pas que quelques compagnons de la MOI* ou des FTP* à partager l’espace de la cellule. Il faut aussi cohabiter avec les puces, les punaises et la gale qui nous rongent. (…) Jacques n’est déjà plus le même. Dès son réveil, il fait les cent pas, silencieux. Lui aussi compte ces heures perdues, foutues à tout jamais. Peut être pense-t-il aussi à une femme, au-dehors. Le manque de l’autre est un abîme ; parfois, la nuit, sa main se lève et tente de retenir l’impossible, la caresse qui n’est plus, la mémoire d’une peau dont la saveur a disparu, un regard où la complicité vivait en paix. (…)  C’est en le regardant muré dans son désespoir, ici même, au milieu de cet univers sordide, que j’ai pourtant vu l’une des plus justes beautés de notre monde : un homme peut se résoudre à l’idée de perdre sa vie, mais pas à l’absence de ceux qu’il aime. (…) Ici, nous sommes au fond du monde, dans un espace obscur et exigu ; un territoire où seule la maladie règne en maître. Mais au milieu de ce terrier infâme, au plus noir de l’abîme, réside encore une infime parcelle de lumière, elle est comme un murmure. Les espagnols qui occupent les cellules voisines l’appellent parfois le soir en la chantant, ils l’ont baptisée Esperanza.

(*) MOI : Main-d’oeuvre immigrée, FTP : Francs-tireurs et partisans

[Les enfants de la liberté, Marc Levy]


[Extrait] Les enfants de la liberté, M.Lévy

Une fois, une femme est venue ici. C’est Robert qui m’avait demandé de l’héberger. Elle avait dix ans de plus que moi, elle était malade et venait se reposer. J’ai dit que je n’étais pas médecin, mais j’ai accepté. Il n’y a qu’une chambre là-haut, alors qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Nous avons partagé le lit ; elle d’un côté, moi de l’autre, l’oreiller au milieu. Elle a passé deux semaines dans ma maison, nous rigolions tout le temps, on se racontait des tas de choses et je m’étais habitué à sa présence. Un jour, elle était guérie, alors elle est repartie. Je n’ai rien demandé, mais j’ai dû me réhabituer à vivre dans le silence. La nuit, quand le vent soufflait, on l’écoutait à deux. Seul, il ne fait plus la même musique.

Elle a frappé à ma porte deux semaine plus tard et m’a dit qu’elle voulait rester avec moi. (…) J’ai dit que c’était mieux pour nous qu’elle retourne auprès de son mari… De quelle fille de la brigade es-tu tombé amoureux ? Jeannot, je sais combien la solitude pèse, mais c’est le prix à payer quand on est dans la clandestinité.

Tu sais, Jeannot, cette amie dont je t’ai parlé tout à l’heure, elle m’a donné cette chance formidable ; elle m’a laissé l’aimer. Ce n’était que quelques jours, mais avec la tête que j’ai, c’était déjà un beau cadeau. Maintenant, il me suffit de penser à elle pour trouver un peu de bonheur. Tu devrais rentrer, la nuit tombe tôt en ce moment.

[Les enfants de la liberté, Marc Levy]