Dans les années 1980, le Texas avait un grave problème de déchets. L’État dépensait 25 millions de dollars par an pour nettoyer ses rues et ses routes et les coûts augmentaient de 15% chaque année. Les tentatives pour encourager de meilleurs comportements – pancartes «Ne jetez pas vos détritus», poubelles le long des routes – restaient sans effet. Le Texas engagea Syrek et son organisme, l’Institute for Applied Research, pour l’aider à concevoir une nouvelle stratégie.
Le message classique pour la protection de l’environnement est émotionnel mais il tend à se focaliser sur un ensemble limité d’émotions. Il en appelle à la culpabilité et à la honte, comme dans ce spot télévisé qui montre un Indien en train de pleurer devant des détritus. Il peut aussi en appeler à nos sentiments pour nos adorables amies les bêtes, comme cette campagne mettant en scène un hibou de dessin animé qui dit: « Impliquez-vous – Ne polluez pas. »
Syrek savait que ce type de message ne résoudrait pas le problème du Texas. Selon lui, ce genre de campagne ne fait que « prêcher les convaincus ». Le Texas avait besoin de toucher des gens gui se fichaient comme d’une guigne des détritus jonchant les routes. Le profil du pollueur type au Texas était un homme de 18 à 35 ans, conduisant un pick-up, amateur de sport et de musique country, n’aimant pas l’aurorité et totalement hermétique aux associations émotionnelles avec d’adorables chouettes. Un membre du département des Transports du Texas souligne. « Dire ‘s’il vous plait’ à ces types tombe dans l’oreille d’un sourd. »« Nous avons découvert que les individus qui jettent leurs détritus dans la nature sont de véritables ploucs », explique Syrek. « Il fallait leur expliquer que ce qu’ils faisaient, c’était jeter leurs détritus sur la voie publique. » Syrek portait en permanence sur lui la photo d’un homme à l’allure macho dans un pick-up. « C’est notre cible, disait-il. Nous lui avons donné un nom: Bubba-le-plouc. »
Une campagne anti-détritus fondée sur l’intérêt personnel était peu susceptible de fonctionner avec ce groupe. Qu’est-ce que les Bubba ont à gagner à ne plus polluer l’environnement ? Se débarrasser de ses détritus dans les endroits prévus à cet effet exige des efforts, qui ne sont pas récompensés par grand chose. La situation ne se prête pas non plus aux incitations à la Caples, fondées sur la cupidité ou le sexe. Il serait sans doute possible de concevoir une approche basée sur la peur – mettant en avant des amendes élevées et autres punitions – mais le rejet de l’autorité caractéristique des Bubbas la rendrait vraisemblablement inefficace (voire, provoquerait des réactions inverses de celles escomptées).
Syrek savait que la meilleure façon de faire évoluer le comportement de Bubba-le-plouc était de le convaincre que les gens comme lui ne jettent pas leur détritus n’importe où et respectent l’environnement. Sur la base de ces travaux, le département des Transports du Texas donna son feu à vert à une campagne de sensibilisation construite aurout du slogan « Touche pas au Texas ».
Un des premiers spots télévisés mettait en scène deux joueurs de l’équipe des Dallas Cowboy. Dans la publicité, ils ramassent des détrituts sur le bord de l’autoroute :
Too- TaU Jones avance vers la caméra et dit, « Si vous voyez le mec qui a jeté ça par la vitre de sa voiture … prévenez-le que j’ai deux mots à lui dire. » Randy White s’avance à son tour, une canette de bière vide à la main, et lance, “J’ai aussi un message pour lui…”
La voix-off demande, « Quel message? »
White écrase la canette dans son poing et dit d’une voix menaçante, “Il faudrait que je l’aie en face de moi.”
Too-TaUJones ajoute, «Touche pas au Texas. »
Ce spot est à mille lieues des mignonnes chouettes et des Indiens larmoyants.
La campagne réunissait des athlètes et des musiciens, dont la plupart n’étaient sans doute pas très célèbres en dehors de l’État mais qui étaient parfaitement connus des habitants du Texas pour être des Texans.
Ne s’agit-il pas tout simplement d’une version rurale du cautionnement par une star ? Non. C’est plus subtil. De toute évidence, les spots ne reposent pas sur la pure célébrité – Barbara Streisand aurait peu de chances de faire un tabac avec Bubba. Et même les vedettes macho n’auraient pas été aussi efficaces. Shwarzenegger est macho mais n’a rien d’un Texan.
Et si la campagne avait utilisé les mêmes stars mais adopté une approche plus classique? «Je suis le boxeur George Foreman. C’est nul, de jeter des papiers par terre. » Cela n’aurait sans doute pas donné grand chose non plus : Foreman aurait incarné l’autorité que Bubba-le-plouc déteste.
Le message de la campagne était «Les Texans ne polluent pas leur environnement». Remarquons au passage que le recours à des vedettes ne fonctionne que dans la mesure où elles peuvent rapidement établir le schéma «Texas» – ou, plus précisément, le schéma de « l’idéal masculin texan. » Même les personnes qui n’aiment pas la musique de Willie Nelson peuvent apprécier son côté Texan.
La campagne a remporté un succès instantané. Quelques mois après le lancement, 73 % des Texans interrogés se souvenaient du message et étaient capables de l’identifier comme message anti-détritus. En un an, la pollution des routes et autres espaces publics chuta de 29 %.
À l’origine, le département des Transports du Texas prévoyait d’accompagner la campagne d’un programme d’un million de dollars pour faire mieux respecter la législation anti-pollution. On appelle cela la tactique de la peur : si vous jetez des détritus, il y a plus de chance que vous vous fassiez attraper et punir. Mais l’impact de la campagne «Touche pas au Texas» a été tel que le programme a été abandonné. En offrant aux Bubbas un message convaincant invoquant leur identité, la campagne a rendu inutile le ressort de la peur.
Au cours des 5 premières années de la campagne, les détritus visibles sur les routes du Texas ont diminué de 72% et le nombre de canettes le long des routes de 81%. En 1988, Syrek a découvert que le Texas avait moitié moins de détritus sur ses routes que les autres États ayant engagé des campagnes de lutte contre la pollution sur des périodes comparables.
« Touche pas au Texas », dans sa forme, est un excellent slogan. Mais il ne faut pas confondre le slogan et l’idée. L’idée était que Syrek pouvait amener Bubba-le-plouc à se sentir concerné par les détritus en lui montrant que les vrais Texans ne polluent pas leur état. L’idée était que Bubba serait plus réceptif à une motivation identitaire qu’à un appel rationnel à son intérêt personnel. Même si le concepteur-rédacteur avait été moins bon et avait produit un slogan plus fade, style « Ne manque pas de respect au Texas », la campagne aurait contribué à faire régresser le nombre de canettes sur les routes texanes.
[Source : Chip & Dan Heath
“Ces idées qui collent : Pourquoi certaines idées survivent et d’autres meurent”]