Archives du jour : 4 février 2016


Le temps des vraies relations 2

Je suis fatiguée, en colère et triste de ces modes de fonctionnement. A la vitesse où les gens vivent et consomment et se consument, je parviens difficilement à trouver des amis, des collègues, de la famille, capable de prendre le temps d’une vraie relation… 

1/ Le temps est devenu un tabou. Le simple questionnement sur ce sujet attire les foudres : “Il faut bien qu’il y en ait qui travaillent” “Tu comprendras quand tu auras des enfants” “Tu crois que j’ai le choix ?”

Oui. Chacun remplit sa vie des contraintes, diversions, activités qu’il choisit ou s’impose, par “devoir” ou mimétisme, parce qu’il suit la norme sans la remettre en question. La vie est une question de choix et de priorités, pas de temps. Notre société capitaliste, dont le modèle repose sur la croissance, nous entraîne dans une course qui nous oblige à produire et consommer toujours plus. L’hypothèse de base est déjà questionnable : comment, dans un système cyclique (la Nature) dont le principe est “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme”, a-t-on pu croire qu’un système “créons et consommons toujours plus” fonctionnerait ? La question étant évitée, nous participons au système, consommant et produisant toujours plus (minimum 35h et 5 jours par semaine) au détriment… du sommeil, du repos, de la connexion à la nature, des relations, des rêves, de l’art, de l’accomplissement personnel et collectif… (pssst : c’est enrichissant et pourtant c’est gratuit)

Dans la nature, les mammifères, d’autant plus ceux qui sont en sécurité en haut de la chaîne alimentaire (prédateurs), dorment 10 à 14 heures par jour. Concernant l’humanité, l’article sur le repos hebdomadaire de Wikipédia indique : “il est généralement admis que les civilisations premières vivaient en travaillant deux ou trois jours par semaine.” Pendant longtemps, l’oisiveté a été l’apanage des riches. Pourtant, au XXIème siècle, à l’heure où nous n’avons plus aucun prédateur et où les machines produisent à la place de l’homme, les individus s’épuisent au travail ou souffrent de ne pas en avoir. Particulièrement les plus aisés, dans des postes “à responsabilité”.

2/ Les émotions sont devenues un tabou. Alors qu’elles sont le tableau de bord de notre humanité et de notre unicité, elles sont le plus souvent ignorées ou ridiculisées. Les enfants apprennent très tôt à cesser de pleurer pour “devenir grands”. Dans les médias, elles sont au centre des sujets les plus voyeuristes et dégradants. Dans les entreprises, elles tentent d’être étouffées au profit du “business”. Des termes comme “sensible” ou “émotif” sont rarement utilisé dans un contexte valorisant. Au contraire, on les oppose, insidieusement, à la raison et à la force. Pourtant les émotions sont 100 % indispensables pour raisonner correctement !

En 1994, le neurologie Damasio, étudiant le cas de Phineas Gage, dénué d’émotions et dans l’incapacité de prendre des décisions suite à un accident au cerveau, puis d’Eliot, patient ayant subi l’ablation d’une tumeur située dans les méninges, démontre que « Les mécanismes permettant d’exprimer et de ressentir des émotions […] jouent tous un rôle dans la faculté de raisonnement. ». Eliot ne ressentait aucune émotion face à des photos choquantes et agissait uniquement de sang froid. Il pouvait réfléchir, parler, compter, se souvenir, mais était incapable de décider à bon escient, de gérer son temps et d’exécuter des tâches en plusieurs étapes. L’affaiblissement de la capacité à expérimenter des émotions pouvait être la source de ces comportements irrationnels. Selon Damasio, le cerveau serait, donc, une boucle d’infinis recoupements entre l’intellect et l’affect.

La conséquence à mon niveau : beaucoup de mes proches sont indisponibles ou épuisés, incapable d’écouter leurs émotions, leur souffrance ou leur besoin de repos simplement, et par conséquent peu disponible pour l’autre. Il m’arrive aussi d’avoir pour interlocuteur une personne fourrée le nez dans son smartphone… hello ? puis-je me joindre à cette conversation virtuelle ?

Souvent, j’admire ces résistants des autres époques : artistes, humanistes, philosophes des Lumières… qui ont su, en leur temps, remettre en cause les idées préconçues pour proposer des améliorations et les faire bénéficier au plus grand nombre. Où sont-ils aujourd’hui ? Qui va pouvoir faire évoluer le système, si ceux qui ont bénéficié de la meilleure éducation et qui disposent de quelque moyen, ne se posent pas de question et ne changent pas leurs comportements et leurs actes (d’achat pour commencer) ? Comment a-t-on pu construire un système qui nous isole et nous conditionne à ce point qu’il est si difficile de le remettre en cause ? Si bien que toute idée nouvelle est ignorée, raillée, ridiculisée, combattue, même par ceux qui pourraient en bénéficier…