Transformer l’idée en expérience 1


Le pouvoir du concret. Plus une idée parle à des aspects différents des émotions et de la mémoire, plus elle accrochera.

Une enseignante de l’Iowa, Jane Elliott, a un jour conçu un message tellement puissant – parlant à tant d’aspect différents des émotions et de la mémoire – que vingt ans plus tard, ses élèves s’en souviennent toujours.

Martin Luther King Jr. a été assassiné le 4 avril 1968. Le lendemain, Jane Elliot, enseignante dans une école élémentaire de l’Iowa, s’est retrouvée en train d’essayer d’expliquer sa mort à une classe d’élèves de 10 ans. Dans la ville à population exclusivemtn blanche de Riceville, Iowa, les élèves avaient entendu parler de Martin Luther King mais ne comprenaient pas qui aurait bien pu souhaiter sa mort, ni pourquoi.

Jane Elliott : « Je savais que l’heure était venue d’aborder la question de manière concrète parce que nous parlions de discrimination raciale depuis le premier jour d’école. Mais il était impossible d’expliquer l’assassinat de Martin Luther King – un de nos « héros du mois » – deux mois plus tôt, à des enfants de 10 ans de Riceville, Iowa. »

Elliot est arrivée en classe le lendemain avec un plan : rendre les préjugés raciaux tangibles pour ses élèves. Au début du cours, elle a divisé ses élèves en deux groupes : ceux qui avaient les yeux bleux et ceux qui avaient les yeux marron. Elle a ensuite fait une déclaration choquante : « Les élèves aux yeux marron sont supérieurs aux élèves aux yeux bleus. Ce sont les meilleurs individus de cette salle. » Les groupes ont été séparés: les enfants aux yeux bleus ont été obligés de s’asseoir au fond de la classe. L’institutrice dit aux enfants aux yeux marron qu’ils étaient plus intelligents. Elle leur a accordé davantage de temps de récréation. Les enfants aux yeux bleus ont dû porter des colliers spéciaux pour que tout le monde sache de loin de quelle couleur étaient leurs yeux. Les deux groupes n’avaient pas le droit dt jouer ensemble pendant la récréation.

Elliott a été choquée de la rapidité avec laquelle sa classe s’est transformée. « J’ai vu ces enfants se transformer en sales gosses vicieux et racistes … c’était horrible, explique-t-elle. Les amitiés se sont évanouies en un instant, les enfants aux yeux marron se moquant de leurs anciens amis aux yeux bleus. » Un élève aux yeux marron a même demandé à Elliott de quel droit elle étair maîtresse puisqu’elle avait les yeux bleus.

Le lendemain, Jane Elliott est entrée dans la classe en disant qu’elle s’était trompée. En fait, c’était les enfants aux yeux marron qui étaient inférieurs. Ce retournement du sort fur adopté instantanément. Un cri de soulagement jaillit de la gorge des enfants aux yeux bleus pendant qu’ils se précipitaient pour mettre leurs colliers à leurs camarades aux yeux marron.

Le jour où ils faisaient partie du groupe inférieur, les élèves se décrivaient comme tristes, méchants, bêtes et vicieux. « Lorsque nous étions en bas, raconte un garçon avec la voix qui se brise, on avait l’impression que tout ce qui était mauvais nous arrivait à nous. » Et lorsqu’ils étaient en haut, les élèves se sentaient heureux, bons et intelligents.

Même leurs performances scolaires changèrent. Un des exercices de lecture consistait en un jeu de cartes avec des syllabes que les enfants devaient lire le plus rapidement possible. Le premier jour, lorsque les enfants aux yeux bleus étaient en bas, il leur a fallu 5,5 minutes. Le deuxième jour, lorsqu’ils étaient en haut, 2,5 minutes. « Pourquoi n’avez-vous pas pu aller aussi vite hier ? » leur a demandé Elliott. Une fillette aux yeux bleus a répondu, «Nous portions ces colliers … » Un autre élève a ajouté, « On n’arrêtait pas de penser à ces colliers. »

L’expérience de Jane Elliott a rendu la discrimination tangible – brutalement tangible. Elle a aussi eu un impact durable sur la vie de ses élèves. Des études conduites dix et vingt ans plus tard ont montré que les anciens élèves d’Elliott étaient beaucoup plus tolérants que leurs pairs qui n’avaient pas été soumis à l’exercice.

Les étudiants se souviennent de l’expérience comme si c’était hier. La diffusion d’une réunion, quinze ans plus tard, des élèves d’Elliott dans le cadre de l’émission Frontline sur la chaine PBS a révélé combien elle les avait bouleversés. Ray Hensen, se souvenant de la façon dont sa compréhension avait basculé d’un jour à l’autre, dit : « C’est une des expériences d’apprentissage les plus profondes qu’il m’ait été donné de vivre. » Et Sue Ginder Rolland : « Il faut lutter contre les préjugés dès le plus jeune âge, sinon, ils vous accompagneront toute votre vie. Parfois, je me surprends [à manquer de tolérance], je me retiens, je pense à l’expérience et je me souviens de ce que j’ai ressenti quand on m’a rabaissée. »

Jane Elliott a mis des crochets dans l’idée de préjugé. Il aurait été facile pour elle de traiter cette idée comme le sont les autres idées dans les salles de classe – un morceau important mais abstrait de savoir. Elle aurait pu aborder les préjugés comme quelque chose qu’il faut apprendre, à l’image de l’histoire d’une bataille de la seconde guerre mondiale. Au lieu de quoi, Elliott a transformé le préjugé en expérience. Songez aux « crochets » impliqués : la vision d’un ami qui se met tout d’un coup à se moquer de vous. La sensation d’un collier autour de votre cou. le désespoir de se sentir inférieur. Le choc que vous éprouvez lorsque vous regardez vos propres yeux dans un miroir. Cette expérience a planté tellement de crochets dans la mémoire des élèves que, des dizaines d’années plus tard, ils s’en souviennent toujours.

[Extrait du livre de Chip & Dan Heath
“Ces idées qui collent : Pourquoi certaines idées survivent et d’autres meurent”]


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