Alors que je cherchais des informations ce matin sur “les grands tabous de l’Occident”, j’ai découvert ce livre sur le cannibalisme : “Les plus grands cannibales: Enquête sur l’un des plus grands tabous de notre société (Obscuria)” de Nathan Constantine et La Boîte à Pandore. J’étais en train de lire les premières pages, quand j’ai fait l’analogie entre les européens de l’époque cherchant désespérément à faire comprendre aux tribus cannibales en quoi ce n’était pas acceptable sans y parvenir, et les vegans aujourd’hui tentant de convaincre ceux qui mangent de la viande (animale) de s’abstenir. Les arguments des uns et des autres ont des similarités fascinantes. Ce qui m’amuse notamment dans les ressemblances, c’est la réaction d’incompréhension des peuples cannibales et l’incapacité des européens à faire comprendre leur point de vue.
J’aurai envie de dire à leur place “Je n’aimerai pas subir ce sort, donc je ne veux pas le faire subir à autrui”. Aujourd’hui il est communément admis que nous sommes “tous humains” et puisque nous provenons tous du même ensemble “humain”, il est plus facile d’apposer une morale anthropomorphique. Mais ça n’a pas toujours été le cas. A l’époque, la différence entre soi, les étrangers, les prisonniers ou les esclaves, permettait de ne pas s’identifier à l’autre et donc de consommer de la viande humaine. Selon les croyances de ces peuples, cette pratique était également essentielle “au bon fonctionnement du monde” pour différentes raisons : croyances religieuses, nécessité politique, économique, ou diététique… (cf. extraits ci-après).
Bref, par analogie, j’ai envie d’écrire que le jour où les humains changeront leurs croyances et se reconnaîtront dans l’ensemble “êtres vivants”, ils cesseront peut être de maltraiter la planète…
Extraits.
C’est très bien de se demander “Pourquoi le cannibalisme ?” Mais, tout au long de l’histoire, il a surtout été pertinent de se demander “Pourquoi pas ?”
Au tout début du XXe siècle, J.H.P Murray était lieutenant gouverneur et officier judiciaire en chef de la Papouasie-Nouvelle-Guinée anglo-australienne. Dans ses mémoires, il évoque la description terre-àterre effectuée par un témoin lors d’un procès, des pratiques cannibales de sa tribu : “on fait bouillir les corps. On les coupe et on les fait bouillir dans un récipient. On fait aussi bouillir les bébés. On les coupe comme des cochons. On les mange chauds ou froids. On mange d’abord les jambes. On les mange parce qu’ils sont comme des poissons. On a des poissons dans les criques, et des kangourous aussi. Mais notre vraie nourriture, ce sont les hommes.”
Il est évident que Murray a pensé à ce témoignage […]. L’idée le révoltait, mais il cherchait en vain une raison convaincante. Plus tard, il écrivit : “Ici, certaines tribus aiment la chair humaine, et ne voient pas pourquoi elle ne devraient pas en manger. En effet, je n’ai jamais été capable de réponde de manière convaincante à un autochtone me demandant pourquoi il ne devrait pas manger de chair humaine.”
Le docteur français Félix Maynard relata les explications que lui donna un chef Maori : “Les poissons mangent les poissons, les chiens mangent les chiens, les oiseaux mangent les oiseaux. Même les dieux se mangent entre eux. Et pourquoi pas les hommes ?” conclut-il.
Le cannibalisme par devoir résulte d’une croyance partagée par de nombreuses sociétés selon laquelle manger d’autres personnes aide le monde à tourner et permet à leur culture d’être cohérente. Des facteurs diététiques et économiques entraient aussi en jeu. Dans certains endroits, la chaire humaine était la seule source de protéines disponible. Dans d’autres, elle constituait la principale source de revenus de la communauté. Si tel était le cas, il y avait beaucoup de chances pour que la pratique soit considérée comme moralement acceptable.
Pour le cas des Fidjis, St. Johnston pensait que cette attitude terre-à-terre envers le cannibalisme était au moins en partie expliquée par l’absence d’autre viande : le deuxième plus gros animal présent dans les Fidjis au XIXe siècle était le rat. Selon l’anthropologue A.P.Rice, le cannibalisme était simplement “un appétit naturel pour de la bonne viande rouge”.
Dans le sud du Soudan, les Zandés se comportaient de manière similaire. Selon E.E. Evans-Pritchard, anthropologue du début du XXe siècle, ils mangeaient de la chair parce que c’était de la bonne viande. Ils disaient que les étrangers ne représentaient rien pour eux. Rien d’autre que de la viande, en tout cas.
Et de la viande, c’est de la viande. Les Mabila vendaient leurs morts à des tribus voisines. D’autres tribus, tant en Afrique qu’en Amérique du Sud, engraissaient leurs prisonniers pour les emmener au marché, et souvent ils les castraient pour accélérer le processus. On gavait de jeunes garçons avec des bananes, on les cuisait et on les vendait. Dans le sud du Nigeria, les prix du marché variaient en fonction des différents morceaux. Au Congo, des corps d’hommes et de femmes, des repas potentiels, étaient disposés en rangées et marqués avec de l’argile colorée pour permettre aux acheteurs de choisir un morceau. Lorsqu’un Européen enragé protesta, le commerçant parut perplexe : “Mais ce n’est pas un homme, dit-il, c’est de la viande d’esclave”.
Tant que les humains étaient capables de “déshumaniser” l’autre, alors l’autre pouvait être considéré comme de la viande.
Si au XXe siècle, un grand nombre d’Allemands très instruits ont pu croire qu’un autre groupe de bipèdes dotés de la parole était une race inférieure, il n’est pas surprenant que des cultures “moins développées” aient souvent éprouvé des difficultés à faire la différence entre les types de viande.
Quant aux rituels…
Le rituel était supposé magique : verser le sang d’une personne était un remède pour le bien de toute la tribu. Il est plus que probable que les membres de cette société le croyaient vraiment mais il est tout aussi probable qu’ils apprécient aussi la cérémonie en elle-même. Déguiser des intérêts personnels sous des croyances compliquées est l’une des habitudes humaines les plus anciennes.
Michel de Montaigne, qui a consacré l’un de ses travaux les plus célèbres à des réflexions sur le cannibalisme, écrivit : “Je ne regrette pas que nous ayons remarqué l’horreur barbare de ces actes, mais je regrette profondément que, bien que nous jugions leurs fautes à juste titre, nous fermions les yeux sur les nôtres. […] Pour nous soigner, nos médecins n’hésitent pas à utiliser des corps, que ce soit de manière interne ou externe.”
Cas de cannibalisme altruiste.
Certaines pratiques cannibales avait une dimension humaine. Consommer les morts était un signe de compassion et de respect pour les parents du défunt. Alors que dans notre culture, les défunts sont traités comme des déchets (incinérés ou enterrés), certaines tribus se comportaient avec leurs défunts comme on se comporte avec les choses qu’on aime : on les met en bouche.
“Je ne sais pas si vous pouvez comprendre ceci, parce que vous n’avez jamais connu la mort d’un de vos enfants…. C’est une chose si triste d’enterrer son corps… Il fait si froid sous terre… Nous ne pouvons nous empêcher de penser à notre enfant gisant là, froid. Nous y pensons et ça nous rend tristes.” expliqua un Wari à l’anthropologue Beth Conklin.
Un cadavre, enterré ou non, rappelait toujours la perte, rassemblait tous les souvenirs qui prolongent la période de deuil. Manger le cadavre, c’était comme “manger le deuil”. Il le faisaient aussi pour plaire à l’esprit du défunt. Rester dans la tribu était bien plus accommodant que de pourrir abandonné dans le sol. Un défunt obligé à subir la honte de la pourriture aurait toutes les raisons d’être fâché, et reviendrait sans doute hanter les vivant.
[A noter. Les individus n’étaient pas autorisés à manger leurs propres parents. Ils mangeaient de la chair humaine pour rendre service aux autres familles, et les autres familles faisaient de même pour eux.]
Les Chinois se nourrissaient les uns les autres avec leur propre chair pour des raisons médicales. Les annales impériales de la dynastie Tang font état de 24 cas de ko ku, ou “cannibalisme pour la famille”. Ainsi, Une jeune femme de Chekiang du nom de Li Miap-ning a soi-disant sa belle-famille malade en coupant 3 morceaux de sa cuisse pour en faire une soupe fortifiante. On mangeaient surtout des cuisses et des bras, et dans quelques cas plus rares des foies et des poitrines. En 1261, l’extraction de son propre foie fut officiellement interdite, et neuf ans plus tard, il en fut de même pour les cuisses. Il existe cependant toujours des personnes qui y croient. Ainsi, en 1995, un marché de foetus humains illégal en plein essor fut découvert à Hong Kong.