Dans son livre « Vous voulez rire, Monsieur Feynman !« , Richard P.Feynman, Prix Nobel de physique, raconte un ensemble d’anecdotes amusantes qui ont ponctué sa vie. Dans l’extrait suivant, il s’étonne du système éducatif brésilien, qui incitait les étudiants à apprendre par cœur des concepts plutôt qu’à comprendre comment fonctionnent les choses.
“Mon expérience en tant qu’enseignant au Brésil ne manque pas d’intérêt. (…) Un jour j’ai assisté à un cours pour futurs ingénieurs. Voici ce que ça donnait (…) Les étudiants prenaient le cours sous la dictée du professeur qui répétait chaque phrase pour leur permettre de vérifier que ce qu’ils avaient pris en note était bien exact. Après quoi, on passait à la phrase suivante. J’étais le seul dans l’assistance à savoir que les corps dont parlait le prof devaient avoir le même moment d’inertie… c’est le genre de détails qu’on ne devine pas.
Je ne voyais pas comment les étudiants pouvaient apprendre quoi que ce soit de cette manière là. Par exemple, le prof parlait des moments d’inertie, mais il ne faisait aucun commentaire (…) Et voilà comment [les étudiants] pouvaient réussir brillamment aux examens – “apprendre”, comme ils disaient – sans rien savoir, si ce n’est quelques phrases “mises en mémoire”. (…)
J’ai donné, dans cette école d’ingénieurs, une série de cours sur les méthodes mathématiques de la physique. (…) J’ai été étonné de constater que sur les 80 étudiants qui assistaient au cours, il n’y en ait pas plus de 8 qui m’aient rendu le premier devoir que je leur avais donné à faire. (…) Finalement, j’ai compris ce qui se passait : ils ne me rendaient pas de devoir parce qu’ils ne savaient tout simplement pas les faire. Je n’arrivais pas non plus à ce qu’ils me posent des questions. Au bout d’un moment, j’ai eu le fin mot de l’affaire, grâce à un étudiant : “Si je vous pose une question pendant le cours, m’a-t-il dit, les autres vont me reprocher de leur faire perdre leur temps ; ils vont me dire qu’ils sont là pour apprendre et qu’il ne faut pas retarder le mouvement en vous interrompant.”
On aurait dit qu’ils étaient engagés dans une sorte de tournoi dans lequel personne ne savait ce qui se passait mais où, pour gagner, il fallait faire comme si l’on savait. Ils faisaient tous semblant de savoir et si l’un d’eux se risquaient à demander des explications, ils prenaient tous des airs supérieurs, l’air de dire que tout était parfaitement clair et qu’ils n’avaient pas de temps à perdre.
(…) Je trouvais ça lamentable ; ils travaillaient beaucoup, ils étaient intelligents, mais tout cela était gâché par un état d’esprit déplorable qui procédait de l’idée absurde selon laquelle le savoir se propage tout seul. Aberrant !
A la fin de l’année, les étudiants m’ont demandé de faire une conférence sur mes expériences pédagogiques brésiliennes. Devaient assister à cette conférence non seulement des étudiants mais aussi des professeurs et des membres du ministère de l’Education ; aussi je leur ai fait promettre que je pourrais dire tout ce que je voudrais. (…)
Le jour de la conférence, j’ai apporté avec moi le manuel de physique utilisé en première année. (…) “Je me propose, ai-je alors déclaré, de vous démontrer que l’on n’enseigne pas la science au Brésil.” J’ai vu la stupéfaction se peindre sur leurs visages. (…) J’ai alors raconté une parabole. (…) Finalement, j’ai conclu en disant que je voyais pas comment on pouvait acquérir le moindre savoir dans un système qui consiste à passer soi-même des examens pour ensuite apprendre aux autres à en passer, sans jamais rien savoir réellement. (…)
Mon voyage avait été financé par le gouvernement américain et j’ai donc dû remettre un rapport écrit au département d’Etat. J’y ai repris en substance ce que j’avais dit lors de cette conférence. J’ai su par la suite que quelqu’un du département d’Etat avait eu la réaction suivante : “Tout cela prouve à quel point il est dangereux d’envoyer au Brésil des gens aussi naïfs que cet individu, incapables de comprendre la spécificité des problèmes locaux.” Pour ma part, je me suis persuadé qu’il faut une dose de naïveté bien plus grande encore pour s’imaginer que la liste officielle des cours donnés dans une université correspond à ce qui est effectivement enseigné.”
Résumé en 4ème de couverture
Richard Feynman fut un scientifique hors norme. Non seulement il contribua en profondeur à la grande aventure de la physique des particules élémentaires, depuis la fabrication de la bombe atomique pendant la guerre alors qu’il n’a pas 25 ans, jusqu’à ses diagrammes qui permettent d’y voir un peu plus clair dans les processus physiques de base. Non seulement il fut un professeur génial, n’hésitant pas à faire le clown pour garder l’attention de ses étudiants et à simplifier pour aller à l’essentiel. Mais il mena une vie excentrique — collectionneur, bouffon, impertinent, joueur de bongos, amateur de strip-tease, séducteur impénitent, déchiffreur de codes secrets et de textes mayas, explorateur en Asie centrale — qu’il raconte ici avec l’humour du gamin des rues de New York qu’il n’a jamais cessé d’être.
Richard Feynman est né à Brooklyn en 1918 et a passé son doctorat à Princeton en 1942. Il a enseigné à Cornell et au Caltech. Il a reçu le prix Nobel de physique en 1965 pour ses travaux en électrodynamique quantique.